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Article du mois de mai par Jacob Vladimir Balga

Pourquoi je ne veux pas guérir de mon insatisfaction

Depuis l’enfance, une impression persistante d’inadéquation et de souffrance traverse ma vie . Un parcours singulier, entre silence, observation, quête de sens et engagement total au service de l’âme humaine. L’insatisfaction, loin d’être une faiblesse, s’affirme pour moi comme un moteur existentiel et spirituel.

Dans l’ombre des mots absents

J’ai toujours été insatisfait de ma condition, au sein de cette humanité.

Insatisfait de ma vie avec les parents, la famille, les humains en général, dans ce quartier populaire de Paris. À l’école, c’était pareil. Sans mots pour le dire, je ressentais un abîme d’incompréhension. Les adultes me paraissaient inaccessibles.

Les seuls moments de paix, dans ma petite enfance bien que je ne connaissais pas encore ce mot étaient ceux partagés avec les voisins, dans notre immeuble, ou avec l’épicier tunisien de notre rue. C’était rare, mais j’y percevais ce que j’ai pu appeler plus tard : l’amour. Et comme c’était si rare, le silence restait préférable.

 

L’enfant silencieux et lucide

Je savais lire et écrire dès deux ans et demi, grâce à mon père. Mais je restais silencieux. Je ne comprenais pas pourquoi les adultes n’interagissaient pas avec tout ce qui existe : les morts, les entités, les flux d’énergie… comme si tout cela n’était pas là.

Je sentais, comme tous les enfants, le faux, cette dissonance entre ce qui est ressenti et ce qui est agi. Et cela faisait mal.

 

À trois ans, j’étais déjà en observation. J’évitais les autres pour ne pas être happé par ce qui blesse. Je regardais enfants et adultes comme une colonie de fourmis. Et je demandai à mes parents de m’intégrer à un monastère.

 

L’apprentissage du silence

En 1967, le hasard d’une balade à moto nous mena, mon père et moi, dans un château perdu en forêt. Il parla avec les anciens, rescapés des camps, en vieux allemand mêlé de polonais. Peu après, à l’âge de sept ans, je fus accueilli dans ce monastère.

 

J’y suis resté jusqu’à mes quatorze ans. Dix heures d’étude par jour, trois heures de prière. J’étais toujours silencieux. Je cherchais, dans les textes anciens, ce qui rendait l’humanité si différente de mes rares instants d’amour enfantin.

Les BD d’Astérix, Tintin ou les écrits platoniciens, aristotéliciens, me semblaient être faits du même tissu : des histoires, et des commentaires sur ces histoires.

 

Mais le mystère restait entier.

 

​La voix, les mots, la redécouverte

Mes seuls instants d’apaisement étaient dans la prière, où l’interaction avec les adultes disparaissait. Là, la lumière s’incarnait dans la chair, et c’était bon.

Seul enfant du monastère, ma voix cristalline chantait les textes sacrés, que je chante encore aujourd’hui.

 

Puis vint la redécouverte du monde extérieur. Mon père gardait une pile de magazines de psychologie. Freud, Michel Meignan, et d’autres noms me fascinèrent. Je lus leurs réponses aux tourments humains, et cela me ravit. Je me dis alors que je ferais cela. En mieux.

 

L’étudiant en quête de sens

À quatorze ans, défroqué, je retrouvai la lecture libre. Le Phédon de Platon et ses idées de métempsychose m’envoûtèrent.

L’université, par contraste avec le monastère, me parut bien lente. Je dévorais cinq livres par après-midi, naviguant d’unités de valeur en unités de valeur, en état de transe. La nuit, je m’immergeais dans l’Encyclopædia Universalis.

 

Je comprenais que ceux qui, comme moi, étaient insatisfaits du monde tel qu’il est, partaient à l’aventure ou exploraient la psyché.

 

Une vie au service de l’âme

Depuis 43 ans, j’observe et accompagne des enfants, et protège les adultes de leurs bévues. Cinq ans en institution, puis 38 en libéral. J’explore les techniques de libération de la psyché, toujours plus avant-gardistes.

 

J’ai consacré toute ma vie à cela : à soulager la souffrance, à dissoudre l’ego qui en est la cause. Mais aucune technique ne permet l’ouverture durable du cœur.

Quand cela s’ouvre, cela ne dure jamais plus de quelques minutes.

 

Et c’est cela, le nœud : quelle que soit la méthode, l’énergie, la bonne volonté, le chemin est ardu. Même moi, je résiste à l’état d’être humain inconscient et inconsistant.

 

L’insatisfaction comme moteur

Pourtant, cette insatisfaction est aussi mon moteur. Elle guide tous les chercheurs, les explorateurs, les dissidents. Ceux qui refusent de se satisfaire de ce qui est.

Elle a probablement commencé chez l’humain avec le feu, puis le besoin de comprendre sa place dans l’univers. Elle pousse à l’évolution – pour le meilleur, comme pour le pire.

 

Dans la solitude – l’état normal, selon moi – tout est plus simple. C’est dans le frottement avec autrui que les choses se gâtent.

 

L’insatisfaction me pousse encore à chercher : comment faire durer l’état de paix quand le mental est vide, libre, stable ? Même sans interaction, l’esprit divague, et la souffrance revient.

 

Une tension permanente

Je pourrais renoncer à cette insatisfaction, mais elle m’a permis d’améliorer chaque année un peu plus ce qui m’échoit.

Alors, ça tenaille. Encore et encore.

 

Bonne et douce vie au lecteur.

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© Jacob Vladimir Balga 2025

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